Le monument Trystram subit sans trop souffrir les bombardements des 2 guerres. Mais les Allemands avaient organisé en 1941 la chasse aux métaux non ferreux et les statues descendaient de leur piédestal, l'une après l'autre. Gaspard Malo, Félix Coquelle, Benjamin Vandenbroucke puis J.B. Trystram furent déboulonnés et parqués dans quelque remise pour la refonte. Les Dunkerquois revenus au pays après la tourmente eurent le plaisir de lire l'article suivant, dans le Nouveau Nord du 8 décembre 1945 "Le Nouveau Nord retrouve avec émotion la statue de J.B. TRYSTRAM".
Le Maire de Dunkerque et la Chambre de Commerce avaient été informés que, contre tout espoir la statue de J.B. TRYSTRAM enlevée de la place du Mynck et condamnée à la refonte se trouvait indemne et en lieu sûr. Muni du renseignement nous nous sommes rendus dans les entrepôts de la maison Mazelier frères et fils où nous avons en effet retrouvé l'oeuvre massive et impressionnante de Félix Desruelles.
C'est, couchée sur madriers, que nous apparaît la lourde statue et nous pouvons ainsi apprécier la surface gigantesque de ses pieds. Il y a non seulement la statue mais encore ses motifs ornementaux, ses plaques et ses appliques ainsi que la plate-forme de métal sur quoi elle était vissée.
C'est le 14 mars 1944 que la statue Trystram fut amenée aux Etablissements Mazelier et à différentes reprises les Allemands voulurent l'enlever pour la briser et en utiliser le métal. Chaque fois un vieux contremaître de la maison, Félix Vandaële parvenait à sauver la statue en disant aux Boches "Qu'en ferez-vous, ce n'est pas du vrai bronze, ça ne peut servir à rien ". Par les soins de la Chambre de Commerce la statue de beau bronze sera bientôt ramenée à Dunkerque où les services municipaux ont pu conserver les pierres de son socle. A nouveau l'effigie familière, caractéristique de notre énergie maritime se dressera à l'entrée du port."
J'aime beaucoup ce dernier paragraphe, digne d'un prophète. La statue de beau bronze fut en effet ramenée à Dunkerque et remisée dans le hangar de la Samaritaine. Mais aujourd'hui, 26 ans après que cet article soit paru, l'effigie familière ne se dresse pas à l'entrée du port. Après bien des recherches je l'ai retrouvée, couchée dans l'herbe, dans l'endroit le plus infect du port, c'est-à-dire dans l'enceinte de l'ancien slipway. J'ai employé à dessein le mot infect, aucun autre ne convient. On est en train de combler la fosse du slipway en y déversant des camions de déblais. Près de la statue sont dispersés quelques débris de l'allégorie : Dunkerque et sa proue de navire, le tout au milieu de vieux cageots, de tas d'ordures. Pourtant ne soyons pas trop méchants. Pour que J.B. TRYSTRAM ne s'ennuie pas, l'administration - j'emploie cette expression parceque j'ignore qui est responsable de l'état de fait actuel - l'administration lui a donné un compagnon - un de ces hommes que l'on a encensé également autrefois. Il s'agit de M. Florent Guillain, l'ancien député de Dunkerque, après J.B. TRYSTRAM. Son buste de pierre mutilé disparaît aussi dans les herbes. Mais comme dit la .chanson : Quand on est deux, ce n'est pas la même chose".
Quant au socle, conservé par les services municipaux, son sort n'est pas plus enviable. Notre ami Millon m'a remis la petite note suivante : "Le 15 Avril 1959, je me suis rendu rue de l'Abattoir au dépôt de la voirie municipale. Il existe là un cimetière d'un genre spécial : un cimetière pour statues mutilées et socles sinistrés. J'y ai vu la statue de pierre de Florent Guillain, le nez enlevé par un éclat d'obus ... et tout à côté, dans le désordre le plus complet, de grosses pierres, sur l'une d'elles j'ai pu lire : J.B. TRYSTRAM1821-1906 -. Que sont devenues ces pierres ? Il ne semble pas qu'on les ait déménagées en même temps que Florent Guillain.
La question qui se pose maintenant est de savoir si le monument TRYSTRAM sera replacé un jour. De nombreuses démarches ont été faites dans ce but. J'ai affiché une note de la Chambre de Commerce en date du 16.2.57 qui semble être une réponse à une demande renseignement sur la question. Les descendants de J.B. TRYSTRAM qui fut également oeuvré dans ce sens, notamment M. Jean TRYSTRAM qui fut membre de l'Assemblée Consulaire après la libération. A sa demande, M.COLLET Président de la Chambre, s'est enquis auprès de la Direction du Port Autonome de la possibilité de réédifier la statue sur le terre-plein de l'écluse Trystram.
Par lettre du 14 avril 1971, M.TOUZET a fait savoir à M. COLLET que satisfaction lui serait donnée dans le meilleur délai possible. Souhaitons que ce meilleur délai possible soit effectivement le plus court possible. DUNKERQUE n'a pas trop de souvenirs de son passé pour les laisser trainer ou slip-way ou à l'abattoir !